Excellent article: Maître de conférences à Aix-Marseille Université et chercheur au laboratoire Parole et Langage, auteur de plusieurs travaux de recherche sur le langage des supporters marseillais, Médéric Gasquet-Cyrus est abonné au Vélodrome depuis 1992.
❚ Comment réagissez-vous à l’ouverture d’une enquête judiciaire pour injure homophobe qui fait suite au match OGC Nice-OM ?
Je suis révolté par l’ampleur que prend cette histoire, une sorte de puritanisme soudain qui s’abat sur les stades parce qu’une ministre a découvert ce qui s’y passe depuis des décennies. Avant toute chose, je tiens à rappeler ce que l’ethnologue Christian Bromberger a écrit dans son ouvrage référence de 1995 Le match de football, à savoir que le foot est un sport populaire et le supportérisme une forme de culture populaire avec ses codes, ses rites et ses habitudes. Les supporters sont là pour encourager leur équipe autant que pour être vus et entendus. Mettre la pression sur l’adversaire avec le langage fait partie de la rhétorique du supporter. On l’insulte, avec des injures qui sont les mêmes que dans la société. Bien sûr qu’une homophobie latente se cache derrière la virilité exacerbée qui caractérise l’univers du foot, aussi bien chez les joueurs que chez les supporters. Est-elle pour autant réelle ? Non.
❚ Pourtant les mots ont un sens…
Les mots n’ont pas un sens, mais plusieurs. Et il faut faire la distinction entre l’origine du mot et le sens qu’il a pris. Si on pousse la logique jusqu’au bout, les féministes sont en droit de crier au scandale quand on emploie le mot "con" qui, faisant référence au sexe féminin, devient une insulte sexiste. Tout comme les prostituées peuvent s’émouvoir des "putain" utilisés comme une injure ou en simple exclamation. Et pourquoi les producteurs de poivrons ne s’indigneraient pas de l’insulte "pebron"! Sérieusement, je fais la distinction entre le mot "pédé"etlemot"enculé". Le premier reste effectivement encore chargé de sens et, même si je suis convaincu que la plupart du temps le mot est prononcé sans être dirigé contre les homosexuels, il est suffisamment connoté pour être qualifié d’homophobe. En revanche "enculé" renvoie à une pratique assumée quelle que soit l’orientation sexuelle : sauf à porter un jugement moral, il est absurde de considérer que dans son sens contemporain, il s’agit d’un terme homophobe.
❚ Cette condamnation s’apparente-t-elle à une atteinte à la liberté d’expression ?
On va demander au foot de régler un problème social en utilisant un moyen sportif (l’interruption de match) et en accusant une partie de la population alors que 99 % des personnes qui crient ces chants ne le font pas avec une intention homophobe. Alors oui, cette condamnation pudibonde, aveugle, stupide et aberrante parce qu’elle ne fait aucune distinction entre les mots, est une forme de censure. C’est grave parce qu’elle sous-entend qu’une partie de l’opinion se donne le droit de dire ce qui est bien ou pas. Pour lutter contre l’homophobie, il serait bien plus efficace de développer une forme d’éducation et de sensibilisation dans les écoles comme dans les milieux du foot sur l’emploi du mot "pédé". Même sans intention homophobe, il est trop stigmatisant et chargé de sens pour continuer à être utilisé.
_________________ Welcome de Zerbi!!!
|